Bélanger & Longtin

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Exclusion de Responsabilité

19 décembre 2025

INTRODUCTION

Depuis leur reconnaissance légale en 18971, les clauses exonératoires et limitatives de responsabilité ont à maintes reprises permis à des cocontractants d’aménager leur rapport contractuel selon leur volonté et de se prémunir des impacts d’une condamnation. Particulièrement, dans le cadre de contrats de service, les clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité jouent un rôle essentiel afin d’encadrer les obligations des parties et limiter les risques juridiques liés à l’exécution de leurs prestations. Or, bien que ces clauses soient généralement valides, la Cour suprême du Canada a, dans le cadre d’une décision rendue en 2021, précisé leurs limites et leurs effets.2 Cet article s’intéresse donc plus particulièrement à la validité et aux limites des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité dans le cadre de contrats de service.

LES CLAUSES EXONÉRATOIRES OU LIMITATIVES DE RESPONSABILITÉ

Définition

Comme l’indique son nom, une clause exonératoire ou limitative de responsabilité est une stipulation contractuelle par laquelle une partie cherche à exclure ou réduire sa responsabilité pour ses actes commis dans le cadre d’une relation contractuelle. Le principe de la liberté contractuelle est au cœur de son existence. Conséquemment, sous réserve d’exigences relevant de l’ordre public, les parties contractantes peuvent se prémunir de clauses contractuelles venant limiter ou même exclure leur responsabilité à l’égard d’une faute simple.3

On retrouve un exemple courant de ce type de clauses lorsqu’un cocontractant limite sa responsabilité au montant de la contrepartie financière prévue au contrat. De cette manière, le débiteur évite de se retrouver en déficit économique et s’assure de ne pas être condamné à payer un montant plus élevé que celui pour lequel il a été rémunéré s’il commettait une faute dans le cadre de l’exécution de son mandat.

La jurisprudence différencie d’ailleurs ce type de clause des clauses de non-obligation. En effet, comparativement à une clause de non-obligation, une clause exonératoire ou limitative de responsabilité n’affectera que la sanction exigible pour une faute contractuelle d’une des parties et non leurs obligations entre elles.4

Il convient de noter que cet article discute des clauses « limitatives » ou « exonératoires » de responsabilité sans faire de distinctions entre ces deux termes, ce qui est conforme aux articles 1474 et 1475 du Code civil du Québec qui encadrent ces stipulations sans établir de différence. Ainsi, les mêmes restrictions s’appliquent que la clause soit « limitative » ou « exonératoire ».5

Les Restrictions Légales

Pour être valide, une clause exonératoire ou limitative de responsabilité doit respecter une série d’exigences qui sont présentées ci-bas.

En premier lieu, la clause doit s’inscrire dans un contrat librement négocié entre des parties contractantes.6 Une clause limitative ou exonératoire de responsabilité sera notamment sans effet dans un contrat d’adhésion7, un contrat de consommation8 ou dans un bail de logement9. Le législateur s’assure ainsi de respecter l’équilibre des forces entre les parties contractantes, en s’immisçant dans les situations où les rapports de force sont disproportionnés afin de protéger les parties plus vulnérables. Il s’agit par exemple du cas entre les parties à un bail résidentiel.

En deuxième lieu, une partie ne peut limiter sa responsabilité pour sa faute lourde ou intentionnelle.10 Les tribunaux ont mainte fois procédé à l’analyse des caractéristiques de telles fautes et ont établi que le caractère lourd ou intentionnel s’évalue en fonction des circonstances propres de chaque affaire.11 Par définition, une faute lourde dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière12 et inclut notamment la faute inexcusable qui s’écarte grossièrement de la norme de conduite acceptable.13 La jurisprudence conclut d’ailleurs que la conduite d’une partie qui est marquée par un mépris total des intérêts d’autrui constituera généralement une faute lourde14 et que le refus délibéré d’exécuter son obligation ne pourra être protégé par une clause exonératoire ou limitative de responsabilité15.

En troisième lieu, le législateur, à l’article 1474 du Code civil du Québec, évoque que nul ne peut exclure sa responsabilité pour le préjudice moral ou corporel qu’il cause à autrui, et ce, peu importe la gravité de sa conduite.16 Une partie ne peut conséquemment exclure sa responsabilité que pour un préjudice matériel. Cette limite existe afin d’empêcher qu’un cocontractant puisse s’extraire des conséquences d’un comportement qui va au-delà du seuil de tolérance de la vie en société. D’ailleurs, par l’utilisation du terme « autrui », le législateur étend la protection à tout tiers au contrat et non seulement aux parties contractantes, renforçant l’importance de cette exigence.17

En quatrième lieu, pour qu’une clause exonératoire ou limitative de responsabilité soit opposable à une partie, cette dernière clause doit avoir été portée à sa connaissance.18 Dès lors, celui qui s’engage doit avoir accepté la clause d’exonération ou de limitation de responsabilité au moment de la formation du contrat.19

Enfin et en cinquième lieu, le contrat ne doit comporter aucun vice de formation affectant la volonté libre, éclairée et non biaisée, tels l’erreur, le dol, la violence ou la lésion.20

LA LÉGALITÉ DES CLAUSES EXONÉRATOIRES ET LIMITATIVES DE RESPONSABILITÉ DANS UN CONTRAT DE SERVICE

Le Contrat de Service

Le contrat de service est défini à l’article 2098 du Code civil du Québec. Ce type de contrat porte sur la prestation de services matériels ou professionnels d’une partie et n’est soumis à aucune forme particulière, outre la volonté des parties. Il implique qu’une personne (le prestataire de service) réalise un ouvrage (matériel ou intellectuel) pour une autre, ou rende un service à celle-ci (le client), en contrepartie d’un paiement.21 Le contrat de service se qualifie la plupart du temps comme un contrat dit synallagmatique, c’est-à-dire que chacune des parties contractantes s’engage l’une envers l’autre à exécuter une obligation. Par exemple, le client s’engagera à rémunérer le prestataire pour l’exécution de ses services.

En général, le prestataire de services dispose d’une expertise dans son domaine. Conséquemment, le client a peu de pouvoir de direction, contrôle, ou de sanction sur la conduite du prestataire de service, de manière que ce dernier dispose d’une indépendance quasi absolue pour exécuter le contrat.22

Le contrat de service peut parfois être qualifié de contrat d’adhésion lorsque le client ne peut modifier de façon majeure les conditions essentielles du contrat et qu’il doit les accepter sans possibilité de discussion.23 C’est le cas par exemple des contrats conçus à la suite d’un appel d’offres par un organisme public.24 Pour pallier ce déséquilibre de forces, le client bénéficiera de protection supplémentaire et une clause limitative ou exonératoire de responsabilité risque de ne pas lui être opposable, et ce, conformément à l’article 1437 du Code civil du Québec.

À noter que bien que cet article n’aborde pas ce sujet, il est important de différencier le contrat de service du contrat de vente, puisque ce dernier est sujet à d’autres règles en regard des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité pouvant y être incluses.

Légalité des Clauses

Ainsi, les clauses exonératoires de responsabilité peuvent être validement incorporées dans des contrats de service, mais elles ne peuvent libérer le prestataire de service de ses obligations envers le client et demeurent soumises aux restrictions légales précédemment mentionnées.

La décision qui s’impose comme référence jurisprudentielle en la matière est l’arrêt 6362222 Canada inc. c. Prelco inc.25 rendue par la Cour suprême en 2021, laquelle réaffirme la primauté de la liberté contractuelle dans la formation d’un contrat de service. Dans cette affaire, Prelco (le client) et 6362222 Canada inc. f.a.s.n. Créatech (le prestataire) avaient conclu un contrat de service contenant une clause limitant la responsabilité de Créatech « au montant des honoraires payés relativement auxdits services déficients ».

Au terme d’une analyse exhaustive, les très honorables Richard Wagner et Nicholas Kasirer concluent au nom de Cour suprême qu’une clause exonératoire ou limitative de responsabilité dans un contrat de service n’est pas invalide, même si elle a pour effet de limiter la responsabilité du prestataire de services à l’égard d’une obligation essentielle du contrat. En effet, lors de la réforme du Code civil du Québec en 2014, le législateur a choisi de ne pas étendre l’application de l’article 1437, qui invalide les clauses abusives dans les contrats de consommations ou d’adhésion, aux contrats négociés de gré à gré. Dès lors, en l’absence d’assise jurisprudentielle ou doctrinale, il n’y a pas lieu de s’interposer et contrecarrer l’intention de parties qui ont négocié à forces égales, celles-ci étant libres de négocier entre elles les risques liés à l’inexécution de leurs prestations respectives.

Par cette décision, rendue dans un contexte doctrinal non sans critique26, la plus haute instance judiciaire au Canada ne saurait être plus claire : la liberté contractuelle dans un contrat de service négocié a préséance sur l’imposition de restrictions non codifiées et qui ne relèvent pas de l’ordre public.

Une nuance importante doit cependant être apportée à l’égard d’une clause qui viderait le contrat de sa cause et qui, de ce fait, n’aurait aucune raison d’être. En effet, et ce conformément à l’article 1371 du Code civil du Québec, une clause qui supprimerait toutes les obligations du prestataire de service serait invalide, puisque l’on viendrait ainsi nier la nature réciproque du rapport contractuel.

Or, la Cour suprême ne résout pas la controverse doctrinale qui existe présentement sur l’interprétation de cette restriction.27 Comme les faits ne s’y prêtaient pas en l’espèce, elle choisit de ne pas prendre position à savoir si, dans certaines circonstances, une clause exonératoire ou limitative de responsabilité pourrait être assimilable à une clause de non-obligation lorsque l’absence de sanction ou son caractère dérisoire aurait comme effet de supprimer toutes les obligations du débiteur et de nier tout recours au créancier victime d’une inexécution, vidant ainsi le contrat de sa cause.

Il est donc permis pour un prestataire de service, sous réserve des restrictions légales, d’aménager sa responsabilité potentielle au moment de la formation d’un contrat, et ce même à l’égard de ses obligations essentielles. Cependant, une certaine prudence s’impose, et devant certaines questions qui n’ont pas encore trouvé d’écho concluant, une attention particulière doit être apportée à la rédaction de telles clauses afin qu’elles ne puissent être assimilées à des clauses de non-obligations, invalides en droit québécois.

Il importe de mentionner en terminant qu’il n’est pas possible pour un entrepreneur ou un professionnel de limiter contractuellement sa responsabilité lorsque la responsabilité légale pour perte de l’ouvrage est en cause, et ce, en vertu de l’ordre public.28

CONCLUSION

Les clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité offrent un cadre juridique essentiel à la gestion des risques dans les contrats de service. Leur validité repose sur le respect des principes fondamentaux du droit contractuel québécois afin d’empêcher une personne de s’extraire des conséquences de sa propre erreur, lorsque celle-ci s’écarte du seuil de tolérance de la vie en société. En cas de litige, les tribunaux analyseront au cas par cas le respect de ces clauses en regard des exigences légales et jurisprudentielles, assurant ainsi un équilibre entre la liberté contractuelle et la protection des parties concernées.

 


 

  1. The Glengoil Steamship Co. c. Pilkington, 28 SCR 14.
  2. 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., 2021 CSC 39.
  3. Art. 8 C.c.Q. ; 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., prec. note 2.
  4. Larouche c. Potvin, 2022 QCCS 1005, par. 185 ; 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., prec. note 2, par. 64.
  5. Id.
  6. Art. 1379 al.2 C.c.Q. ; Vues & Voix c. Integrall inc., 2019 QCCS 5096, par. 20-21.
  7. Art. 1437 C.c.Q.
  8. Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1., art. 10.
  9. Art. 1900 C.c.Q.
  10. Art. 1474 al.1 C.c.Q
  11. 9083-2957 Québec inc. c. Caisse populaire Desjardins Rivière-des-Prairies, 2007 QCCS 4389, par.37 ; Kingsway Transports Ltd. c. Chubb Insurance Company of Canada, 1997 CanLII 10344 (QC CA).
  12. Id.
  13. Ace European Group Ltd. c. Canadian National Railway Company, 2017 QCCS 2531, par. 94 ; Empire Cold Storage Co. c. Cie de volailles Maxi ltée, [1995] R.R.A. 846 (C.A.).
  14. Acier Century inc. c. Ville de Montréal, 2020 QCCS 1646, par. 84 ; Ace European Group Ltd. c. Canadian National Railway Company, 2017 QCCS 2531, par. 94.
  15. 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., prec. note 2, par. 45.
  16. Art. 1474 al.2 C.c.Q. ; Larouche c. Potvin, 2022 QCCS 1005, par.184.
  17. Larouche c. Potvin, 2022 QCCS 1005, par.184 ; Vincent Karim, Les obligations, 5th ed., vol. 1, Montréal: Wilson & Lafleur, 2020, online: <https://edoctrine.caij.qc.ca/wilson-et-lafleur-livres/161/713213768>, par. 3890, 3899–3900.
  18. Art. 1475. C.c.Q. ; 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., par. 44.
  19. Marcotte c. Réfrigération Climat Technic inc., AZ-99026221, B.E. 99BE-418 (C.S.), p. 7.
  20. Art. 1398 and seq. C.c.Q.
  21. Guichet unique d’inscription dès l’enfance c. Procureure générale du Québec, 2017 QCCA 13, par. 42.
  22. François BEAUCHAMP and Marilyn TÉTRAULT-BEAUDOIN, « La nature et l’étendue du contrat d’entreprise ou de service » in Collection de droit 2024-2025, École du Barreau du Québec, vol. 7, Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2024, p. 27.
  23. Régie d’assainissement des eaux du Bassin de La Prairie c. Janin Construction (1983) Ltée, 1999 CanLII 13754 (QC CA), p.40 ; Marine International Dragage (MID) inc. c. Ville de Salaberry-de-Valleyfield, 2025 QCCS 3504, par. 57.
  24. Marine International Dragage (MID) inc. c. Ville de Salaberry-de-Valleyfield, id.
  25. Prec. note 2.
  26. Jean- Louis BEAUDOIN, and Pierre-Gabriel JOBIN. Les obligations, 7th ed., Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 2013, no. 140 : Following the reform of the Civil Code of Québec, Professors Jobin and Vézina stated the following regarding Article 1437 : « les contrats de consommation ou d’adhésion n’ont pas le monopole des clauses abusives et la justice contractuelle devrait selon nous être universelle ».
  27. 6362222 Canada inc. c. Prelco inc. prec. note 2, par. 36.
  28. Art. 2118 C.c.Q. ; General Signal Ltd. c. Allied Canada inc., 1994 CanLII 5839 (QC CA), p.10 to 13 ; Leprohon inc. c. Corporation Tricho-Med, 2024 QCCS 4008, par. 244.

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